Voilà plusieurs semaines que je souhaitais reprendre le fil de ce blog. Depuis mon départ de la direction des rédactions du Journal des Entreprises, en novembre dernier, certains se demandent à quoi j’occupe mes journées. Toutes ne ressemblent pas à celles d’hier, mais ce mardi 12 mars restera longtemps gravé dans ma mémoire. Car ce que j’ai vécu ce jour-là dit beaucoup de notre époque, de nos métiers, de nos valeurs.
Comme vous le savez sans doute, j’organise désormais mon temps autour de trois pôles d’activité principaux : la conception et l’animation de conférences et de débats, la transmission de compétences auprès d’un public étudiant (j’interviens régulièrement à l’école de communication Mediaschool, récemment ouverte à Rennes), sans oublier de réfléchir à de nouveaux projets éditoriaux porteurs de sens, et à une démarche d’écriture plus personnelle.
Une journée particulière
Hier, donc, j’ai vécu une journée particulière. Elle a débuté par une matinée comme je les aime : j’ai animé la plénière de Bretagne Ateliers, cette entreprise adaptée qui emploie essentiellement des personnes en situation de handicap, et qui a développé un modèle de management fondé sur l’humain, la confiance, le respect et l’écoute. Tout au long de cette matinée, dans le grand amphithéâtre de Rennes School of Business, près de 300 personnes captivées ont assisté à des tables rondes, des interviews, des reportages, sur l’entreprise inclusive, sur les conditions à mettre en œuvre pour réussir à « travailler ensemble ».
Pas de pathos ou « d’éléments de langage » artificiels dans ces échanges vrais et sans filtre. La présence exceptionnelle d’Emmanuel Faber, le patron du groupe Danone, que l’on sait attentif aux questions de handicap et à la place de l’humain dans l’économie, a donné à cette rencontre un éclat particulier. À l’heure de la conclusion, chacun est reparti en se sentant, lui aussi, grandi en humanité par les témoignages entendus et les valeurs partagées.
Auteur imprévisible
C’est donc dans cet état d’esprit très positif que, quelques heures plus tard, j’ai pris le chemin de l’Espace Ouest-France. Connaissant mon gout des livres et des mots, la librairie Le Failler m’avait en effet sollicité quelques semaines plus tôt pour rejoindre l’équipe d’animateurs de ses rencontres littéraires. Premier rendez-vous, ce 12 mars, avec un auteur fort médiatique : Yann Moix. Je confesse que je goute assez peu de ses joutes télévisuelles et que ses coups d’éclats m’avaient jusque-là laissé insensible. Mais la lecture de son dernier roman, Rompre, publié chez Grasset, m’a séduit par la vigueur de son style aux formules savamment ciselées. On m’avait décrit un personnage ombrageux et imprévisible. Je n’ai pas été déçu.
Comme l’a fort ironiquement bien raconté mon confrère de Ouest-France Yann-Armel Huet dans son billet d’humeur du jour, la rencontre s’est mal passée. L’auteur, visiblement pas au mieux de sa forme, s’est braqué dès son arrivée pour une histoire de verre d’eau qui lui aurait été refusé. Ayant assisté à la scène, je peux témoigner qu’il n’en était évidemment rien. Mais ce prétexte saisi, Yann Moix a aussitôt déserté la scène, au sens propre du terme. Disparu dans les rues rennaises, évaporé dans la foule !
Son public, car il en a, s’est montré d’une infinie et surprenante patience. Plus d’une centaine de personnes, dont de nombreuses femmes de plus de cinquante ans – qui ne semblaient pas lui tenir rancune de ses dernières saillies – ont attendu son hypothétique retour. Dans cet espoir, j’ai commencé à présenter l’ouvrage, à défaut de son auteur. À la demande de certains auditeurs, j’ai même lu quelques pages du roman, où il était question, ironie suprême, de la propension du narrateur à prendre la poudre d’escampette.
Tout allait bien, jusqu’au retour de l’intéressé. Insultes, gestes théâtraux mimant l’insupportable affront : Yann Moix a refusé l’interview, exigeant de se passer de ma présence pour s’adresser directement au public. Ce qu’il fit, enchaînant les réponses interminables et souvent méprisantes, dans un galimatias de références littéraires et de boursouflure de soi.
Emballement médiatique
Vous l’aurez compris, l’événement n’en était pas un et ne mériterait pas que je vous en parle s’il n’avait été le détonateur d’un emballement médiatique aussi excessif que révélateur. La presse nationale, sitôt alertée de l’affaire rennaise par la lecture du quotidien régional, en a fait ses choux gras. De réseaux sociaux en flashs spéciaux, l’anecdote s’est retrouvée partout. Et c’est là que le malaise s’installe. Car enfin, pourquoi accorder autant de place à l’insignifiance, alors qu’il y a tant d’informations importantes à partager ?
Pas de vie minuscule
Quelques heures plus tôt, pas un seul media n’avait assisté à la conférence de Bretagne Ateliers, pour écouter Sonia nous raconter son quotidien de travailleuse handicapée et nous décrire la fierté qui est la sienne de participer à un vrai projet d’entreprise. Pas un journaliste pour relayer les convictions de l’anthropologue lyonnais Charles Gardou qui affirme avec force que non, « il n’y a pas de vie minuscule ». Pas un micro tendu pour enregistrer le message d’Emmanuel Faber, patron d’un groupe mondial de 100.000 personnes qui venait ici saluer l’audace des méthodes innovantes de l’entreprise rennaise. Ou pour partager la vision du sociologue canadien François Héon, admiratif face à la puissance de ces « réseaux énergisants » à l’œuvre dans les organisations performantes de ce type, où chacun connait l’autre et où le sourire n’est pas en option.
Alors oui, ce soir, j’ai un peu honte de mon métier. Nous, les médias, nous disposons d’une capacité sans pareille pour porter à connaissance du plus grand nombre l’information la plus utile, mais aussi, hélas, la plus futile. La force de Bretagne Ateliers, c’est de considérer chaque personne comme une richesse, quel que soit son handicap. Nous en portons tous, plus ou moins visible, plus ou moins accepté. Yann Moix comme les autres. Le sien, hélas, est autodestructeur : c’est l’incapacité à aimer. Et visiblement, il en souffre.
Bravo pour ce texte qui résume bien la soirée d’hier et l’emballement médiatique . Nous aurions, nous public, dû quitter la salle… il est trop tard… un bémol pour les « réponses interminables et méprisantes »
Merci Thibaut pour votre message. Au plaisir d’un nouvel échange dans un cadre plus serein !
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »…il reste quelques rares médias et quelques journalistes pour s’en souvenir. Merci Xavier.
Merci Xavier de dire tout haut ce que l’on déplore tout bas, une dérive incompréhensible de certains médias qui tire tout le monde vers la bas et nous détourne de ce qui est beau pour ne retenir que le déplorable…pas étonnant que les français aient le moral en berne !
Bravo pour ta tempérance
Demeurer insensible aux richesses capitalisées par professeur Charles GARDOU, et généreusement partagées, constituent un véritable handicap pour les mass- médias qui se’auto- saisissent d’un fait insignifiant pour l’amplifier outrageusement