Avec la crise, la solidarité revient en force

Avec la crise, la solidarité revient en force

Face à la crise économique qui s’annonce, les acteurs économiques redécouvrent les vertus de la solidarité. Prêts de salariés entre entreprises d’un même bassin d’emploi, aides de collectivités pour soutenir l’activité, renforcement des liens avec les clients et les fournisseurs… Quelles soient d’origine publique ou privée, les initiatives solidaires se multiplient. Et plusieurs études soulignent que l’altruisme se lit dans la performance globale des entreprises.

Ce fut l’un des mots-clés de la récente assemblée générale de l’Association bretonne des entreprises agroalimentaires, la semaine dernière à Rennes. Sans concertation préalable, il a émaillé discours et témoignages de ces professionnels éprouvés par la crise sanitaire et inquiets de l’orage économique qui se profile à la rentrée. Ce mot-clé, c’est celui de solidarité. Un mot-valise, souvent galvaudé et vidé de son sens par excès de grandiloquence. Ici, pourtant, il a été employé sans calcul, à plusieurs reprises, pour décrire ce qui avait été vécu au cours des derniers mois.

Par exemple, lors de cette expérimentation lancée en fin d’année dernière dans le département du Finistère, et qui a connu un succès inattendu lors du confinement : baptisé Agil’agro, ce dispositif visant à favorisant l’emploi et l’insertion professionnelle dans les métiers en tension a permis à plusieurs entreprises de se prêter des salariés pour faire face à des surcroit d’activité, avec le maintien des contrats de travail et des conditions d’exercice, dans une logique de proximité. Ce fut le cas chez le fabricant de pâté Hénaff, ou chez le spécialiste du saumon Meralliance, par exemple.

« Nous avions initié cette opération en octobre 2019, avec une expérimentation auprès de 12 entreprises du Finistère, dans le cadre d’un partenariat État-Région. Clairement, la profession réclame davantage de flexibilité. La mobilité et le dialogue social, çà ouvre des portes en entreprise ! », résume Annie Saulnier, qui fut durant trois ans la présidente de l’ABEA et qui dirige une PME de 50 salariés dans les produits surgelés, Geldélis.

Coopération public-privé

Au détour de cette réponse, se glisse une autre caractéristique importante de l’époque, et peut-être aussi, du territoire breton : la coopération entre acteurs publics et privés. La crise sanitaire a démontré, s’il en était besoin, combien les aides publiques d’urgence avaient permis d’amortir le choc. Prêt garanti par l’Etat, reports de charges, avances remboursables : l’ampleur et la rapidité de la mise en œuvre de l’arsenal des mesures gouvernementales de soutien aux entreprises -particulièrement étoffé et plus généreux que la moyenne européenne – a largement été salué par les principaux bénéficiaires.

En Bretagne, la Région a également contribué à jouer les pompiers pour venir en aide aux secteurs les plus fragiles. Près de 181 millions d’euros auront fait l’objet de dépenses supplémentaires, votées lors de la session budgétaire ce mois-ci. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le mot de « solidarité » – encore lui ! – vienne émailler textes officiels et discours politiques pour justifier cet effort inédit. « Nous sommes face à une crise inimaginable il y a encore quelques mois, qui a généré un stress intense et des peines réelles, mais aussi de belles solidarités et des formes de résistance organisées via les réseaux bretons », souligne ainsi Loïg Chesnais-Girard, à la veille de cette session.

Interrogé sur le sens donné à cette formule, le président (PS) du conseil régional de Bretagne se veut pragmatique. À l’heure où la recherche des « transitions » fait partout figure de quête du Graal, il ne veut pas opposer les modèles. « Je veux et les usines et l’écologie, et la production et la sobriété, afin de favoriser un développement sobre tourné vers territoires », martèle-t-il dans une formule sans doute mûrement calibrée. On entend, à travers cette expression qui associe des valeurs souvent antagonistes, combien l’exercice s’apparente à un périlleux équilibre sur une ligne de crête.

Chiffres à l’appui, plusieurs études établissent une corrélation réelle entre performance et quête de sens, entre solidarité et efficacité.

Il ne s’agit évidemment pas de pêcher par excès de naïveté en s’affranchissant des contraintes de la concurrence ou des obligations de rentabilité sous-tendues par l’économie de marché. Pourtant, en y regardant de plus près, il apparait que la recherche de la solidarité peut être – aussi- un bon investissement. Il est ainsi frappant de constater que, chiffres à l’appui, plusieurs études établissent une corrélation réelle entre performance et quête de sens, entre solidarité et efficacité.

Entreprises altruistes

C’est le sens des travaux du professeur Isaac Getz, célèbre pour ses études sur l’entreprise libérée. Dans un récent article de la Harvard Business Review France cosigné avec le spécialiste de l’innovation sociale Laurent Marbacher, il défend l’idée que « les entreprises altruistes sont plus capables que les autres d’affronter l’avenir ». Par cette curieuse expression, les deux auteurs désignent les entreprises qui ne placent pas en premier la recherche de la performance financière. Cette dernière découle in fine de la qualité des liens tissés avec leurs parties prenantes : d’abord avec leurs salariés, puis avec leurs clients, leurs fournisseurs et leurs communautés locales, dans cet ordre. Les deux auteurs démontrent que ces entreprises altruistes obtenaient systématiquement de meilleures performances financières que celles qui ne se préoccupaient « que » de leurs actionnaires à travers une généreuse politique de dividendes.

« Les entreprises altruistes ont, elles, décidé de servir leurs clients sans condition, c’est-à-dire les servir authentiquement, plutôt que de s’en servir. Même si cela ne rapporte pas d’argent, ou parfois si cela leur en coûte. Parce que lorsque vous prenez soin d’autrui, vous n’êtes pas dans le calcul, vous ne comptez pas. Et qu’obtenez-vous en retour ? L’attachement de votre client », soulignent Isaac Getz et Laurent Marbacher à l’appui de leur thèse.

Critères ESG et performance

Comme en écho à cette approche qui place l’humain au cœur de l’analyse économique, une étude de Bank of America Merryl Lynch publiée au cœur de la crise du coronavirus a quant à elle démontré que les entreprises qui obtenaient les meilleures performances boursières étaient celles qui accordaient une place importante aux critères ESG (environnement, sociaux et de gouvernance), et notamment à la dimension sociale, exprimée par la qualité des relations avec les salariés. Pour la banque américaine, « les valeurs ESG ne sont pas là que « pour faire beau » dans les portefeuilles, elles ne pas sont juste « un luxe de marché haussier ». Au contraire : lors de l’effondrement boursier lié à la crise du Covid-19, ce sont les actions des entreprises avec les meilleures notes ESG qui ont le mieux résisté au krach, rappelle-t-elle.

Evidemment, ces analyses anglo-saxonnes portent sur des entreprises cotées de taille internationale qui peuvent paraitre bien éloignées du tissu économique des PME et ETI dont il était question au début de cet article. Cependant, elles viennent conforter à leur manière la thèse selon laquelle l’attention portée à la qualité des relations avec l’ensemble des parties prenantes, et en premier lieu aux salariés, conditionnent la performance de l’entreprise.

Dans le contexte inédit qui se profile, voilà une information qui va à rebours des idées reçues et qui renforce la pertinence d’une démarche RSE intégrée, comme nous le rappelions dans un précédent article. L’attention portée au capital humain fait assurément partie de ces valeurs qu’il est urgent de remettre au premier rang des priorités. Alors que l’on s’attend, crise économique oblige, à une recrudescence des difficultés entrainant dépôts de bilan, faillites et licenciements, la capacité des acteurs économiques à imaginer des solutions altruistes pourrait porter les germes de la transition que beaucoup appellent de leurs vœux. Gageons que la période qui s’annonce sera également fertile en innovations solidaires. Nous les partagerons ensemble.

Xavier Debontride

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