C’est une évidence, en cette période de rentrée à hauts risques : la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) devient un marqueur incontournable des politiques publiques et des discours entrepreneuriaux. Le plan de relance consacre cette approche, les références à la raison d’être et à la mission de l’entreprise se multiplient. Faut-il n’y voir qu’un effet de mode ou une tendance lourde ? Eléments de décryptage.
En cette rentrée économique et sociale 2020 de tous les dangers, mais aussi de tous les espoirs, difficile de décrire avec certitude le scénario des prochains mois. Entre la multiplication redoutée des faillites d’entreprises sur fond de trésorerie exsangue, la crainte des plans sociaux à répétition et la flambée annoncée du chômage, on a connu période plus sereine. Pourtant, dans ce contexte sanitaire à hauts risques, marquée par la généralisation du port du masque sur les lieux de travail et la menace d’un reconfinement toujours possible, le débat sur la nature de la relance reprend de la vigueur. La présentation, jeudi 3 septembre, du plan de relance national a marqué les esprits par son ampleur -100 milliards d’euros- et ses axes stratégiques, même si, dans ce type d’annonce, le diable se niche toujours dans les détails. C’est bien l’exécution des mesures annoncées et elle seule qui démontrera – ou pas – le bien-fondé de ces initiatives hors normes.
Mais déjà, force est de constater que les orientations en faveur d’une relance « verte » obtiennent enfin des moyens significatifs, avec pas moins de 30 milliards d’euros explicitement fléchés sur des financements liées à la transition écologique, avec des actions concrètes concernant la rénovation énergétique des bâtiments, les transports, la transition agricole et l’énergie. (Nous avions d’ailleurs consacré il y a quelques mois un article de BàM ! à l’intérêt de la rénovation thermique).
L’entreprise au cœur du dispositif
Autre enseignement du plan de relance, et non des moindres : il place l’entreprise au cœur du dispositif, lui conférant une responsabilité écrasante dans la concrétisation des mesures annoncées. Ce parti-pris assumé en faveur d’une politique de l’offre consacre par ricochet l’idée de la responsabilité sociétale de l’Entreprise (RSE) en reconnaissant que ses actions ont un impact direct sur la société et la création de valeur. Le sujet fait toutefois toujours débat, comme en témoignent les principales critiques énoncées ces jours-ci à l’encontre du plan de relance gouvernemental. Elles tiennent pour la plupart à cette primauté accordée à la sphère privée et à l’absence de contreparties claires exigées en retour des aides annoncées. Ce dernier point mérite d’être entendu, et des clarifications seraient les bienvenues pour éviter toute dérive dans l’utilisation des fonds publics nationaux et européens ainsi mobilisés.
Désormais, le rôle de l’entreprise dans la mise en œuvre des transitions s’impose comme une évidence.
Réinvention de l’entrepreneuriat
En s’imposant de la sorte dans le débat public, la RSE sort progressivement de la relative confidentialité dans laquelle ce concept s’était développé à ses débuts. Désormais, comme le souligne le plan de relance, le rôle de l’entreprise dans la mise en œuvre des transitions indispensables pour répondre aux enjeux sociaux, écologiques et climatiques s’impose comme une évidence. Guillaume Pepy, l’ancien patron de la SNCF qui préside désormais le réseau de soutien des dirigeants et créateurs de petites entreprises, l’a constaté ces derniers mois : « La pandémie accélère la réinvention de l’entrepreneuriat. Les futurs entrepreneurs sont, comme les jeunes, obsédés à juste titre par les enjeux de la responsabilité sociale et environnementale. Nous voyons se multiplier depuis le confinement les projets autour de l’environnement, dans le recyclage, les circuits courts, les services médico-sociaux… », expliquait-il début septembre dans une interview au quotidien les Echos.
La RSE au cœur des débats
En cette période de rentrée, les milieux économiques semblent s’être donné le mot pour s’emparer du sujet. Plusieurs événements récents ont placé cette notion de responsabilité sociétale des entreprises au cœur des débats.
Sans surprise, ce fut bien sûr le cas fin août lors des Universités d’été de l’économie de demain (UEED) organisées pour la deuxième année consécutive par le Mouvement des entrepreneurs sociaux. Avec la présentation d’un plan de relance de l’économie – quelques jours avant celui, officiel, du gouvernement – qui fait la part belle aux principes de proximité, de solidarité et de durabilité. L’occasion, pour ses promoteurs, de lancer toute une série d’initiatives concrètes pour accélérer les transitions, notamment 12 propositions pour « une relance par la transition sociale et écologique ».
Quasiment au même moment, la grand’messe du Medef, rebaptisée Renaissance des entreprises de France (la REF) qui se tenait sur l’hippodrome de Longchamps, n’esquivait pas non plus le débat de la responsabilité sociétale, consacrant l’une de ses thématiques au développement durable et n’hésitant pas à accueillir des intervenants développant des analyses par forcément alignées sur celles du mouvement patronal, à l’instar de la jeune et incisive militante environnementale Camille Etienne, qui a réussi à garder son calme malgré l’hostilité à peine voilée d’une partie de l’assistance… On le voit, les lignes bougent.
Le plan de relance, à travers les nombreuses opportunités qu’il propose, peut permettre de faire coïncider les paroles et les actes.
Importance des territoires
Autre enseignement, et non des moindres, de cette rentrée décidément pas comme les autres : l’affirmation de l’importance des territoires dans la mise en œuvre du plan de relance. C’est à Saint-Malo que se tiennent, ces 8 et 9 septembre, le premier Forum Economique Breton, largement placé sous le signe de la recherche de solutions concrètes pour imaginer la Bretagne économique de demain. J’ai le plaisir de participer depuis plusieurs mois à la coordination éditoriale de cet événement, et qui implique de très nombreux acteurs économiques privés régionaux, avec le soutien de la Région. Initialement prévu en avril, le FEB a été reporté en cette période de rentrée, crise sanitaire oblige. Reporté, et même largement repensé, autour de thématiques désormais articulées autour des conditions de la relance : transitions, relocalisations, innovation, solidarité et culture. Là encore, sans qu’elle s’affiche de manière explicite, la RSE irrigue les propositions et les initiatives. Plusieurs intervenants ont d’ailleurs souhaité profiter de l’occasion pour affirmer leurs engagements en la matière, à l’instar d’Hélène Bernicot, la nouvelle directrice générale d’Arkéa, ou de Bris Rocher, le PDG du groupe éponyme, devenu officiellement « entreprise à mission » fin 2019.
Accélérateur de prise de conscience
Faut-il voir dans cette évolution un simple effet de mode ? Je veux, pour ma part, croire que non. Depuis quelques mois, à travers l’audience croissante des podcasts de BàM ! – du Business à la Mission, nous constatons un intérêt grandissant pour la RSE vécue comme une démarche concrète d’amélioration des organisations. La crise sanitaire a agi comme un accélérateur de prise de conscience chez de nombreux dirigeants d’entreprises comme chez leurs collaborateurs. Cet élan mérite à présent d’être transformé durablement. Le plan de relance, à travers les nombreuses opportunités qu’il propose, peut permettre de faire coïncider les paroles et les actes. Les moyens financiers, inédits par leur ampleur, sont là. Reste à engager les actions concrètes avec méthode et volonté. Un sacré programme mobilisateur pour redonner du sens et faire société.
Xavier Debontride