Vents porteurs sur le transport maritime décarboné

Au moment où s’élancent les concurrents du Vendée Globe pour un tour du monde à la voile qui s’annonce être celui de tous les records, il souffle un vent nouveau sur le transport maritime international, de plus en plus conscient de sa responsabilité environnementale. Des cargos à voile s’apprêtent ainsi à prendre le large. En témoignent notamment les initiatives de Grain de Sail, à Morlaix, ou de Neoline, à Nantes. L’illustration concrète que dans ce secteur stratégique, on peut aussi passer « du business à la mission ».

Il y a des semaines comme cela, où les marins trouvent encore des raisons d’espérer malgré le confinement et les rumeurs alarmistes du monde. Ce dimanche 8 novembre, le départ, à huis clos et sous une brume capricieuse, des 33 concurrents du Vendée Globe, a permis de vérifier les immenses progrès techniques réalisés par ces bateaux volants, qui n’ont jamais autant mérité leur surnom de « Formule 1 des mers ». Pour la neuvième édition de cette course hors-normes, les spécialistes s’attendent à voir tomber de nouveaux records, alors qu’Armel Le Cléac’h, le plus rapide sur ce circuit, a bouclé le dernier tour du monde en solitaire et sans escale en 74 jours et des poussières il y a quatre ans.

Et puis dans quelques jours, un autre départ est annoncé, lui aussi à la voile : celui du cargo Grain de Sail, qui s’apprête à quitter Saint-Malo pour traverser l’Atlantique, les cales chargées de 14.000 bouteilles de vin français, avant de faire le trajet en sens inverse, rempli cette fois de chocolat et de café. Anachronique ? Au contraire. Et la coïncidence de ces deux événements mérite d’être soulignée. À l’heure où la question du réchauffement climatique obscurcit l’horizon planétaire, la redécouverte de la propulsion vélique pour le transport des marchandises redevient d’actualité. Symbole du commerce international, le transport maritime est régulièrement pointé du doigt pour ses émissions polluantes, qui représenteraient 2 à 3% du total des émissions de gaz à effet de serre. On oublie souvent qu’à l’heure de nos économies globalisées, 90% du commerce mondial en volume (et 80% en valeur) est réalisé par voie maritime.

Réduction de vitesse et des émissions

Les armateurs ont longtemps minimisé leur responsabilité environnementale avant de commencer sérieusement à s’attaquer au problème. L’une des initiatives les plus récentes en la matière, et sans doute à court terme la plus facile à mettre en œuvre, consiste tout simplement à réduire la vitesse des navires, en particulier les porte-containers, pour diminuer la consommation de carburant et les rejets toxiques. Ce « slow steaming » permet ainsi de réduire de manière sensible les émissions, de l’ordre de 30% par exemple pour les vraquiers. Séduisante, la logique de réduction de vitesse, qui est par exemple prônée par l’armateur français LDA, ne sera pleinement efficace qui si tous les opérateurs jouent le jeu pour éviter d’entraîner une distorsion de concurrence pénalisant les seuls « bons élèves ». Pour aller plus loin, d’autres scénarios sont à l’étude, à partir de carburants moins riches en soufre, ou via des technologies de rupture, autour de l’hydrogène par exemple.

Et le vent dans tout cela ? Il commence de nouveau à être pris au sérieux dans une logique « post-carbone ». Le parcours de l’entreprise finistérienne Grain de Sail illustre avec une ténacité toute bretonne qu’il est encore possible de transformer une idée un peu folle en réalité. Au départ, il y a le pari des frères Olivier et Jacques Barreau, qui après avoir investi dans des projets éoliens en mer, souhaitaient se lancer dans une nouvelle aventure entrepreneuriale avec une dimension maritime. Ils réfléchissent alors à un projet de cargo à voiles. « « La question qui vient juste après, c’est : qu’est-ce qu’on met dans les cales ? », résume en souriant Jacques Barreau. Les deux frères ont alors pensé au café et au cacao. En 2013, totalement néophytes en la matière, ils lancent leur l’activité de torréfaction. La chocolaterie suit en 2016, en lien avec l’ESAT de Morlaix, comme pour le café. Excellents communicants, les entrepreneurs misent sur la qualité de leurs produits pour « vendre » aux consommateurs le projet de transport à la voile.

« Ce projet, c’est la continuité de nos engagements entrepreneuriaux précédents, consacrés au développement durable ». Jacques Barreau, directeur général de Grain de Sail.

Commerce équitable

Et ça marche ! Un premier cargo voilier de 72 pieds (22 mètres) en aluminium, gréé en goélette (avec deux mats) a pu être construit, moyennant un investissement de 2 millions d’euros. C’est ce Grain de sail 1 qui s’apprête à larguer les amarres, avec une capacité de transport de 50 tonnes dans ses cales. Et déjà, un second navire est à l’étude, de 40 à 50 mètres, avec une capacité d’emport quintuplée, à 250 tonnes. « Ce projet, c’est la continuité de nos engagements entrepreneuriaux précédents, consacrés au développement durable », souligne Jacques Barreau, directeur général de Grain de Sail et ancien dirigeant de Nass&Wind dans l’éolien offshore. Si le terme de RSE ne lui paraît pas très parlant, il se définit davantage comme « une entreprise de bon sens » plutôt qu’une entreprise à mission. « Nous cochons les cases assez naturellement, notamment dans le cadre du commerce équitable, avec l’obtention de certifications et le choix de produits bios », explique-t-il. Les vents semblent porteurs : Grain de Sail envisage de trouver un partenaire américain pour sécuriser les approvisionnements transatlantiques, et ses effectifs (33 salariés actuellement, dont 4 marins, pour un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros cette année) devraient rapidement atteindre la cinquantaine de collaborateurs, en ligne avec la croissance attendue de l’activité.

Neoline séduit Renault et Manitou…

Grain de Sail n’est pas un cas isolé. D’autres projets de plus grande envergure misant également sur Éole pour propulser des navires marchands sont bien avancés, à l’image de Neoline. Cette entreprise nantaise créée par des officiers de la marine marchande travaille depuis cinq ans à la mise au point d’un grand cargo roulier à voile, de 136 mètres et d’une capacité de 280 containers EVP, 500 voitures ou 5.000 tonnes de fret conventionnel. Le cargo voilier, baptisé Neoliner, sera doté de 4 mats rabattables et d’une propulsion auxiliaire diesel-électrique. Il assurera des liaisons régulières entre Saint-Nazaire et la côte Est des États-Unis à partir de 2022. La solution de Neoline a déjà séduit Renault, Bénéteau et Manitou, qui ont signé ces derniers mois des accords de transport pour confier à l’armateur une partie de leurs exportations outre-Atlantique. La construction de deux navires a été confiée au réseau Néopolia à Saint-Nazaire, moyennant un investissement unitaire estimé à près de 50 millions d’euros. Le financement est assuré par un consortium de partenaires, dont l’armateur français Sogestran. Avec, à la clé, une réduction annoncée de 90% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à un transport océanique traditionnel.

… Et Zéphyr&Borée embarque Ariane 6

De son côté, un autre nantais, Zéphyr & Borée, s’apprête à transporter des éléments du lanceur Ariane 6 par voie maritime jusqu’à son pas de tir en Guyane, à bord d’un impressionnant cargo à voile de 121 mètres de long, équipé de 4 ailes articulées de 375m2 et d’un moteur Diesel, baptisé Canopée. Objectif affiché par la jeune société : aider les acteurs du « shipping » à atteindre l’objectif rappelé par l’Organisation Maritime Internationale. L’OMI a en effet calculé que pour respecter les objectifs fixés par l’accord de Paris, les émissions de CO2 du transport maritime doivent être divisées par deux d’ici à 2050. D’autres navires à propulsion vélique sont dans les cartons (ou plutôt les ordinateurs) de Zéphyr et Borée, et le lancement du Canopée est annoncé pour 2022.

C’est également l’horizon poursuivi par la société Towt, à Douarnenez, qui utilise déjà des voiliers traditionnels pour faire du cabotage de vrac (café, bières, rhums…), transatlantique et transmanche. Ses équipes travaillent également à un projet cargo à voile, toutefois moins abouti que les précédents exemples cités. L’analyse récente de cette start-up par le consultant indépendant Michel Nizon laisse entrevoir quelques difficultés à ce stade au niveau du modèle économique envisagé par Towt.

Ancrage à l’Ouest

Toutes ces initiatives, sans surprise, sont souvent nées dans les terres maritimes de l’Ouest de la France. La Bretagne et les Pays de Loire abritent en effet de nombreux acteurs industriels et des bureaux d’études réputés en matière de construction navale. Il existe également un tissu coopératif très riche qui fédère les initiatives, comme le pôle Mer Bretagne Atlantique, ou encore l’association Econav en faveur d’une navigation durable. Sans oublier RespectOcéan, le réseau créé par la navigatrice Raphaëla Le Gouvello, qui met à profit la période de confinement pour multiplier les webinaires sur les thématiques de la protection des océans et les initiatives maritimes écoresponsables.

De nombreuses innovations figurant au départ du Vendée Globe – des pièces techniques en matériaux composites aux fameux foils qui transforment les voiliers en spectaculaires machines volantes – ont été conçues dans des chantiers navals de ces deux régions. Demain, peut-être, elles se retrouveront sur les cargos du futur, afin d’optimiser le transport maritime en réduisant leur empreinte carbone. Le retour de la marine à voile n’a finalement rien de passéiste, bien au contraire !

Xavier Debontride

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